Jacques Christol est mort ce jeudi 18 février.
Une messe sera donnée mardi à 10h30 en la Cathédrale Saint-Etienne.
Pour les « jeunes » ou les « nouveaux » ou ceux venus d’ailleurs, quelques « repères biographiques« pour vous permettre de prendre la mesure de l’évènement et de vous intégrer aux réactions de la « communauté« .
Jacques Christol était un « catho social« , comme on disait alors, qui a toute sa vie été à la pointe des aventures auxquelles il participait.
Président de l’AGET-UNEF quand il était étudiant en médecine et, à ce titre, engagé dans le combat anti-colonialiste lors de la guerre d’Algérie et victime, avec sa femme Bernadette, des menaces et d’une tentative d’assassinat de l’OAS.
Influent par sa participation au Commissariat au Plan, qui a été pendant des années l’outil de l’appareil d’état pour transformer la France et moderniser le pays, il a rencontré, là, de grands patrons des entreprises majeures, notamment industrielles, qui seront plus tard des ressources pour ses activités d’ergonome en même temps qu’il acquérait une connaissance de ces milieux et de leurs contraintes, de leur culture et de leurs modes de raisonnement qui lui seront évidemment très utiles ultérieurement.
Médecin pédiatre et responsable d’unité chez Sanofi, il se retrouvera « de l’autre côté de la barrière » en 68, ce qui mettra fin à une carrière prometteuse de dirigeant industriel.
Du coup, il se mettra à « faire de la modernisation industrielle… par d’autres moyens » et découvrira l’ergonomie, avec des rencontres majeures : Alain Wisner, au premier chef (disait-il), Jacques Leplat, Maurice de Montmollin, Pierre Cazamian, Antoine Laville… et tous les « monstres sacrés » de cette époque où s’inventait « l’ergonomie de langue française » comme on l’appellera finalement pour la distinguer des modèles, eux-mêmes différents, anglo-saxon aujourd’hui tristement dominant (cf. l’IEA), allemands ou russes.
C’est donc à ce moment-là qu’il devient, pour nous tous aujourd’hui et ici, essentiel.
Sur le fond et en résumé, Jacques Christol est le véritable « inventeur » ou « créateur » du conseil privé en ergonomie en entreprises, c’est à dire de notre métier à nous, consultants en ergonomie, qui ne sommes donc pas de simples « praticiens » qui « appliqueraient » une « discipline » dans des ateliers ou des services (il fustigeait ceux qui, disait-il, « amenaient la paillasse du labo dans l’atelier » et qui « faisaient des études » et non des « interventions« ), mais bien des professionnels particuliers, autour d’un champ de connaissances, méthodes et outils délimités, certes, mais recourant aux autres champs à chaque fois utiles de l’ingénierie, du management, de la gestion, de la santé et la sécurité… des « disciplines-soeurs » en quelque sorte, et des « métiers-frères« … au-delà de ce que Yves Schwartz a appelé les « disciplines-mères« , donc, la psycho et la physio !
Jacques insistait sur « l’opérationnalité« constitutive de l’intervention ergonomique, sans quoi elle n’a pas de sens, ni ne trouve de marché : notre métier, c’est « le travail« , et « l’activité« nous importe en tant qu’elle en est le « régulateur » ultime, la ressource finale de l’efficacité des systèmes ; et que cela nous permet de participer à la résolution des questions industrielles et des services, et à leurs « Performances Humaines & Techniques » (ce sera le nom de la revue de référence qu’il créera et que Marie Christol développera par la suite : un ouvrage est d’ailleurs en préparation avec la SELF et pour son prochain congrès de Marseille à partir d’articles de la revue).
Dans le « schéma à cinq carrés« , rappelait-il toujours, « l’important ce n’est pas les cinq carrés« , ce sont les « quatre boucles de rétro-action« , qui font, justement, qu’il s’agit bien d’un « système« , dont « l’activité » est le « régulateur en dernière instance« , et, finalement, qu’elle nous intéresse… parce qu’elle nous permet de trouver des solutions aux questions posées : dans les variations de l’activité, on comprend les causes systémiques des dysfonctionnements… ou des performances ; en cela, on sort de la simple psychologie du travail ou des mécanismes physiologiques et on rentre bien dans l’ergonomie, et dans une ergonomie de l’efficacité au service des entreprises !
Et en cela aussi, on peut voir que Jacques n’a pas seulement été le véritable « créateur du conseil privé en ergonomie en entreprises« , il a aussi été l’un des théoriciens important de notre discipline : du modèle fondamental du « travail comme système régulé par l’activité » (et l’opérationnalisation de ce concept ! ) à celui de « l’entreprise comme système anthropotechnique ouvert sur l’environnement, le territoire » (thème qu’Alain Wisner allait développer lui aussi, à peu près à la même époque, qui revient aujourd’hui en cours : cf. le pré-programme du congrès SELF de Toulouse en 2017, comme par hasard !), à ses apports incontournables en « méthodologie de l’intervention« , évidemment ; en cela, sa collaboration avec Gilbert de Terssac, qui s’orientera plus tard vers la sociologie du travail où il jouera le rôle que l’on connait, fut essentielle.
Son activité de consultant en ergonomie, métier qu’il a inventé, donc, commencera par une activité en qualité de profession libérale, indépendante ; très vite, le succès et les marchés venant, il sera amené à multiplier les collaborations avec d’autres confrères, indépendants comme lui (qu’il aura souvent aidé à démarrer, par ses conseils, son exemple et les collaborations qu’il offrait), fonctionnant sous la forme de réseau, de communauté déontologique, méthodologique et opératoire, de « marque commerciale » de qualité aussi ; et puis, dans un troisième temps, il a été amené à choisir la formule de la société classique, « Christol Consultants« , où l’ont rejoint nombre de ces anciens libéraux du réseau initial, principalement Michel Mazeau qui y fut son « bras droit » et continua l’entreprise après l’arrêt d’activité de Jacques, qui a eu de nombreux succès industriels dont le plus emblématique est, sans doute aucun, l’usine Pechiney de Dunkerque, énorme projet sorti du néant et où tout était à inventer, où il formalisa un concept qu’il baptisa la structure d’intervention « en miroir« , probablement quand même très liée au projet lui-même et peu généralisable.
Quand il arrêtera « Christol Consultants« , beaucoup de ses associé ou compagnons, selon, créeront eux-mêmes leur propre boutique… et l’aventure continuera sous d’autres formes…
Pour les Toulousains, Jacques Christol a été l’initiateur essentiel du développement de l’ergonomie dans la région, de sa cohérence et la synergie de ses différentes composantes pendant longtemps.
Il a été le principal initiateur du RESACT, qui est aujourd’hui encore l’association de référence en Midi-Pyrénées sur « les questions relatives au Travail« , après avoir longtemps été plutôt centrée sur « les conditions de travail et la santé au travail » qui restent toutefois toujours bien présentes : informations, diffusion des nouveautés en matières d’apports scientifiques comme d’expériences d’entreprises, débats sur les sujets d’actualité… ; le RESACT organisera le congrès national de la SELF à Toulouse en 2017 sur une thématique centrée sur « l’opérationnalité » de la discipline et de ses métiers. Mais il ne faut pas oublier qu’à l’origine, grâce aux relations au Plan de Jacques Christol, il a permis que le RESACT (qu’il fit financer en partie, à l’origine, par des budgets de la Défense ! ) soit une pépinière de « jeunes » (à l’époque, c’est à dire en 70-80 !) en transition vers les questions du travail, comme, notamment, Pierre Richard ou Gilbert de Terssac (avec en particulier des bourses d’études provenant de budgets ministériels de la Recherche et de l’Industrie, la DGRST).
Avec Yvon Queïnnec, au premier chef, et avec aussi le concours du psychosociologue Jacques Curie, il a contribué au développement de la collaboration des différents labos et unités de formation de la ville, et, avec le concours de différents professionnels d’autres métiers (René Gamba et Pierre Josserand en acoustique, Jean-Jacques Damelincourt en éclairagisme, entre-autres…), il a créé une formation d’ergonomes opérationnels, principalement issus des entreprises (l’Equipement, l’Aéronautique, les Télécoms, l’Armement, la métallurgie, la Médecine du Travail…), qui a longtemps fait partie des meilleures formations du pays : le DIECT, à l’IPST, où ont enseigné tous les noms connus du milieu dans les années 80-2000, piloté par Michel Mazeau, économiste à l’origine, rejoint ensuite par l’auteur de ces lignes (historien du Travail, sociologue et géographe à la base !), tous deux enseignants à l’IPST et à la fac du Mirail… puis Pierre Richard (sociologue des organisations de formation) qui y joua un rôle important, tout ce monde faisant aussi ses débuts en interventions en entreprises sous ce que Jacques appelait son « compagnonnage« ; car, autour du DIECT, les intervenants dans la formation comme les stagiaires des entreprises qui la suivaient, il créait sur la durée une véritable dynamique de formation d’intervenants opérationnels en ergonomie en entreprises : en cela notamment, il a créé une véritable « Ecole » de professionnalisation, et reste reconnu comme un « maître » inégalé par tous ceux qui ont eu le privilège de le rencontrer.
Enfin, il aussi été le principal acteur de la création de la première et longtemps unique « ARACT » (comme on ne disait pas encore à l’époque), le « MIDACT« , bien servi par son premier directeur, Pierre Thon et son directeur-adjoint, depuis directeur de l’ARACT Languedoc-Roussillon, Serge Deltor, MIDACT qui a joué et joue toujours un rôle de premier plan dans le développement des questions du Travail et plus spécialement, de l’Amélioration des Conditions de Travail, en particulier vers les PME-TPE, dans des actions collectives intéressantes par branches ou bassins d’activité en particulier.
Autour de cet ensemble, le RESACT, association autour des questions du Travail articulant les différents milieux concernés (ergonomes-conseils, médecins du travail, consultants en psycho et RH divers, acteurs d’institutions de ce qui s’appelle aujourd’hui CARSAT et DIRECCTE, syndicalistes…), le DIECT, formation associant les différents labos et disciplines de la ville ainsi qu’universitaires et professionnels de terrain, le MIDACT, organisme para-public en lien avec les différents acteurs sociaux et institutionnels et avec les structures du Conseil et de l’Ingénierie, grâce au développement et au travail interdisciplinaire des labos de recherche et au réseau des cabinets privés de conseil, il a ainsi été le principal animateur de ce qui s’est appelé « l’Ecole Toulousaine d’Ergonomie » dans les années 80-90 en particulier.
Après cette époque, l’ergonomie est restée forte et Toulouse en est toujours un pôle des plus importants au niveau national, mais son unité, surtout, et sa capacité de « recherche interdisciplinaire« , à l’Université, et de « R&D-innovation« , chez les consultants, se sont quelque peu dissoutes, notamment ensuite après le départ d’Yvon Quéïnnec, l’autre grand acteur de cette « épopée« , et ce, alors même qu’a contrario les cabinets et sociétés de conseil se développaient fortement et que, surtout dans la dernière période, « l’ergonomie interne » aux entreprises connaissait un véritable décollage (AIRBUS, bien sûr, mais aussi les collectivités territoriales -Mairie, CD31, SDIS…- ou les SST, le CHU, la SNCF, les Télécom…).
Mais, évidemment, là, Jacques n’était plus là pour animer le dispositif !
Outre la revue « Performances Humaines & Techniques« , dont on a déjà parlé, on peut compléter en indiquant qu’il aura aussi créé en 87 les « Editions OCTARES« , aujourd’hui dirigées par Jean Christol, et qui sont devenues les éditions de référence des ouvrages sur « le travail » (www.octares.com)
D’autre part, on rappellera juste ici, pour mémoire, son rôle dans les organismes divers de la discipline, et notamment à la SELF, dont il a été un président remarqué et novateur… pour l’époque où les consultants n’avaient jamais eu cette fonction jusque-là (ça paraissait impensable que ce ne soient pas des universitaires à ce poste et il a, là aussi, ouvert la voie ! ) et été également souvent administrateur.
De nombreux consultants, à l’époque jeunes diplômés et aujourd’hui véritables professionnels, se souviennent enfin de son activité de « retraité actif » « SOS Amitié » qu’il avait mise en place, en particulier avec Jacques Escouteloup, enseignant dans le Master d’Ergonomie de l’Université Bordeaux-II (et « ancien » du DIECT, lui aussi), qui consistait, une fois à la retraite, à accueillir les nouveaux dans le métier, les conseiller dans leurs développements initiaux et, ainsi, les orienter vers une pratique du métier plus sûre, plus efficace et, partant, plus durable.
Voilà, ce que, immédiatement et « au bout de la nuit« , on pouvait dire de Jacques Christol, notre maître et ami, pour permettre aux rares qui ne le connaissaient pas, nouveaux dans le métier ou le milieu ou récemment arrivés à Toulouse, de comprendre l’émotion que suscite sa disparition dans notre communauté.
Tout à l’heure, dans la réunion à laquelle tous les cabinets et sociétés d’ergonomie de Midi-Pyrénées « et alentours« , adhérents ou pas, ont été invités par Cinov Ergonomie (1), invitation faite avant de connaître cette nouvelle et sur un ordre du jour qu’il nous faudra évidemment en partie modifier, nous aurons à examiner quelle réponse indispensable adopter, comment aussi dire à Marie, Jean et toute leur famille, notre affection et notre solidarité : si la nécessité est évidente, les modalités restent entièrement à définir ; que ceux qui ne pourront pas venir mais ont une idée sur ce point, me la communiquent, je la transmettrai au collectif, tout comme je ferai un compte-rendu rapide de ce que nous aurons arrêté sur ce point.
Allez, salut à vous.
(1) CINOV ERGONOMIE est le syndicat des sociétés et cabinets de conseil en ergonomie créé, à l’origine en 97 et dans la fédération Cinov reconnue représentative des entreprises de la branche nationale du Conseil, de l’Ingénierie et du Numérique, par trois « élèves » de Jacques et dont Pierre Richard fut le premier président. (www.cinov.fr)